LETTRE 9 en date du 12 JUILLET 44
Mon Pierrot chéri,
Le 12 juillet 1944 à 10 h½
Ce soir enfin comme j’ai un peu plus de courage je viens bavarder un peu avec vous. Mon Pierrot chéri que devenez-vous ? Je n’ai toujours pas de vos nouvelles et votre dernière lettre date toujours du 3 mai Je m’inquiète bien que d’après le facteur « Les lettres d’Allemagne arrivent en très petit nombre seulement » C’est quand même dur d’être sans nouvelles si longtemps. Et combien de temps cela va-t-il durer ?
Ici la vie est toujours la même. Les avions rodent sans cesse au dessus de nous et il est des jours où on ne prend même pas la peine de nous sonner les alertes. Nous couchons toujours tout habillés, bien que depuis quelques jours nous passons d’assez bonnes nuits. On s’habitue à tout ; Et dans votre coin ! Est-ce plus calme ?
Et votre ravitaillement ? Ici pour le moment comme toutes les communications sont coupées nous arrivons à nous ravitailler assez bien surtout en produits laitiers. Les fermiers nous proposent maintenant leurs marchandises
Le 14 juillet 1944
Vous excuserez l’interruption de ma lettre, (On a coupé le courant)
Depuis 2 jours il s’est passé du nouveau pour moi. Voilà 2 mois que je suis arrivée et depuis quelque temps déjà je demandais sans cesse à maman de bien vouloir me laisser aller travailler au dehors. Bien sur, j’ai du travail à la maison, mais j’ai le souci de n’être pas sans cesse à la charge de mes parents, surtout que je n’ai toujours pas le résultat de mon examen et que je ne sais pas combien de temps cela peut durer. Enfin j’ai vaincu a force de demandes la résistance de maman et grâce à MME « H » et à M. « D », j’ai obtenu une place aux Ponts et Chaussées. Je serai dans le bureau de M. « D » et vraisemblablement je commencerai mardi ou mercredi (J’aurai la réponse lundi).
Bien entendu tout ceci n’est que momentané. Ce travail de bureau me changera les idées car en ce moment le cafard me visite souvent. Si seulement j’avais de vos nouvelles. MME « H » a reçu hier une lettre de son ami de Grenoble et celui-ci lui disait qu’il avait reçu votre lettre datée du 4 juin. Cela me rassure un peu, mais à cette époque vous receviez encore des colis tandis que maintenant l’envoi des colis est tout à fait impossible alors que leur confection serait beaucoup plus facile qu’auparavant.
Nous avons reçu ce matin une lettre de Rolande qui nous apprend que la vie n’est guère brillante à Paris : Les légumes au marché noir sont passés à des prix astronomiques. Quant aux fruits il ne faut pas en parler. Nous autres nous avons le ravitaillement mais nous avons aussi les …… « boum-boum »
La santé est bonne et j’espère qu’il en est de même pour vous. Maman la semaine dernière a été souffrante. Elle a pris froid et cela lui a occasionné une inflammation des glandes salivaires. Cela faisait beaucoup souffrir, mais heureusement ce n’est plus qu’un souvenir. Hier c’était au tour de votre maman d’être patraque : un froid et une sorte d’indigestion Non pour avoir trop mangé mais je crois pour avoir mangé à contre cœur. Aujourd’hui c’est fini. Quant à moi je me porte très bien et si ce n’était votre éloignement et les graves événements que nous vivons tout irai pour le mieux.
Le temps aujourd’hui est encore maussade : nous comptons les rares journées de beau temps. Ce doit-être la D .C.A. et les canonnades qui dérangent l’atmosphère et qui valent ce temps triste.
En ce moment je fais du jardinage, du tricot, de la couture. Je ne m’ennuie pas comme vous voyez mais néanmoins ce n’est pas la vie rêvée. Où sont nos belles journées à Paramé ?
Vivrons-nous un jour tous les ,jolis rêves que nous avons faits ?
Voilà mon Pierrot chéri, je vais vous quitter car il se fait tard. Ma pensée ne vous quitte guère en ce moment je vous assure et il y a des moments où je suis bien malheureuse, et où je voudrai être auprès de vous.
Je vous envoie beaucoup de très doux et très tendres baisers.
Votre Marie-Anne qui vous aime de tout son cœur..
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