Mon Pierrot,
Le 25 JUIN 44 à 10 h½ du soir
Je viens de me coucher et avant de m’endormir je vais vous tracer pour vous mon Pierrot bien aimé quelques lignes qui iront vous toucher dans votre lointaine Poméranie ; J’espère qu’elles vous trouveront en excellente santé… de corps et d’esprit et qu’elles vous apporteront un peu de réconfort. Si vous saviez mon chéri, comme je voudrais que ces pauvres lignes vous apportent un peu de joie et un sourire (les vôtres me procurent tout cela et j’attends avec toute la patience en mon pouvoir, de vos nouvelles). Hélas, le courrier va de plus en plus mal mais je ne désespère pas toutefois de recevoir un de ces jours une missive de mon Pierrot. De mon côté, je continuerai à vous écrire aussi longtemps que je le pourrai et j’espère que quelques unes des mes lettres vous toucheront tout de même.
Que devenez-vous mon Pierrot chéri ? J’en suis réduite aux suppositions. Maintenant qu’il fait beau allez-vous à la plage, prenez-vous de bons bains ? Cet après-midi tout en travaillant à un ouvrage de couture je pensais à tout cela et fatalement j’ai revécu vos vacances à PARAMÈ. Vous rappelez-vous ? Comme il faisait bon vivre à ce moment là, on ne pensait guère aux alertes et aux bombardements. Aujourd’hui nous avons été relativement tranquilles, pas d’alertes mais on entendait le boum-boum au loin et toutes les portes tremblaient. Que nous réserve cette nuit ? Je souhaite qu’il ne se produise rien et que je fasse de beaux rêves. En faites-vous toujours de beaux ? Puissions-nous un jour les vivre réellement
Bonsoir mon chéri Beaucoup de tendres baisers.
Le 26 à 10 h½ du soir
Ce soir encore mon chéri, je viens vous dire un bonsoir très doux et très tendre de trop loin malheureusement. Quand pourrai-je vous le dire de vive voix ce bonsoir et vous donner réellement tous ces baisers dont mon cœur déborde ? Mon Dieu que se soit le plus vite possible ! IL y a des soirs où vous me manquez tant mon Pierrot et ou je voudrais vous sentir près de moi. Vivement que ce vilain cauchemar prenne fin. Mais avant quelles épreuves aurons-nous à subir ? Pourvu que Dieu nous épargne et que notre sort ne soit pas semblable à celui de la Normandie. En attendant, aujourd’hui, nous avons eu une journée très calme sans doute à cause du mauvais temps.
Je n’ai toujours pas de vos nouvelles et je commence à m’inquiéter car j’ai appris que des lettres datées du début de juin et provenant des environs de S LETTIN sont arrivées à RENNES. Pourvu qu’il ne vous soit rien arrivé. Pourtant je prie tant pour vous que j’espère que Dieu vous protégera et exaucera mes vœux.
Vous voyez, il ne s’est rien passé de sensationnel aujourd’hui, toute la journée en conversant j’ai sans cesse pensé à mon Pierrot bien aimé. Votre image est tout le temps avec moi et votre regard franc et droit. Regard que j’aime tant me suit.
Mon Pierrot adoré, se soir encore je vais vous quitter en vous envoyant de tout mon cœur rempli de votre image, de tendres et doux baisers .Bonsoir, mon chéri
Le 27 à 10 h½ du soir
Aujourd’hui la vie a été plus mouvementée, 4 alertes coup sur coup en fin d’après-midi. La nuit va-t-elle être plus tranquille ? Ce soir encore je me suis couchée tout habillée. Comme cela s’il faut aller à la cave je serai prête plus vite.
Les Anglo-américains ont pris Cherbourg et maintenant que vont-ils faire ? Si jamais ils descendent vers RENNES, qu’adviendra-t-il de nous ? J’ai le cafard rien que de penser à tout cela. Car dans ce cas on nous ferait sans doute évacuer de force et où aller ? Et de plus les routes sont très dangereuses maintenant car tout est mitraillé. Si seulement tout ce carnage pouvait prendre fin. On pourrait respirer librement, dormir tranquille et ….. Bonheur suprême, vous reviendrez parmi nous. Le jour où je vous reverrai m’apportera une telle joie qu’il sera gravé pour toujours dans ma mémoire. Mais quand viendra-t-il ce jour ?
Ici je vis toujours pareillement. Je m’occupe à la maison et je vous assure que je ne chôme pas. J’ai toujours du travail à faire : que ce soit cuisine, ménage, repassage, enfin tous les travaux ménagers. Je ne suis pas allée en ville depuis le bombardement du 9 juin. Je n’ose pas m’aventurer car je ne suis guère brave en cas d’alerte.
Papa et maman vont encore aux halles le matin quand ils présument qu’il n’y aura pas trop d’alertes. Vous avais-je dit que papa dès le jour du débarquement avait été licencié ? Alors maintenant, jusqu‘à nouvel ordre de son patron. IL va aux halles avec maman. C’est donc moi qui suit chargée de l’entretient de la maison.
Je n’ai toujours pas le résultat de mon examen, mais pour ce qu’il doit-être bon il viendra toujours assez tôt.
IL se fait tard mon Pierrot adoré aussi je vous dis bonsoir très tendrement et vous envoie de très doux baisers. Qu’il ferait bon aux moments de cafard blottir sa tête contre votre épaule. Là au moins je serai bien. Quand pourrai-je le faire ?
Bonsoir, mon chéri
Le 28 à 11h
Deux mots avant qu’on ne me gronde parce que je me couche trop tard. Ce soir nous avons fêté la ST PIERRE C’était aussi votre fête mon chéri, et malgré les nombreuses restrictions que nous subissons j’avais tout de même réussi à faire une petite douceur à papa. Mon chéri, que j’aurais voulu vous voir la partager avec nous. Votre prochaine fête se passera je l’espère parmi-nous. En attendant pour cette fois-ci je ne peux que vous envoyer ma pensée fidèle et de nombreux baisers doux et tendres.
Comment l’avez-vous passée cette fête au camp ? La journée a été tranquille aujourd’hui et nous avons pu respirer librement mais pour combien de temps ?
Mon Pierrot bien aimé aujourd’hui encore je vous quitte en vous disant bonsoir, mais aujourd’hui c’est un bonsoir encore plus tendre que d’habitude pour vous faire oublier un instant notre séparation.
Par la pensée je me blottis un instant contre votre poitrine et de nombreux baisers s’envolent vers vous.
Le 29 au matin La journée commence mal : alerte, on voyait très bien les avions.
Vous voyez mon Pierrot, tous les soirs ma pensée s’en est allée vers vous et aujourd’hui jour de la ST PIERRE je vais être sans cesse avec vous.
Encore une fois je vous envoie à cette occasion beaucoup de baisers.
Cette nuit j’ai fait un rêve merveilleux, j’aurais voulu qu’il dure plus longtemps, mais je me suis réveillée t j’étais en colère d’interrompre un si beau songe.
Mon Pierrot bien aimé je vous quitte. Soyez sûr que ma pensée ne vous quitte guère
Votre Marie-Anne qui vous aime profondément..
Emplacement de la signature
Bons baisers, bonne fête
Bernard